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  • Dimitri, clown de A - Z

    La Scuola et la Compagnia Teatro Dimitri présentent pendant tout le mois de juillet, à Verscio, leurs spectacles d'été. Jean-Jacques Wahli a rencontré le clown qui s'est plu à lui entrouvrir les grilles de ses jardins secrets en lui déclinant son abécédaire

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    Verscio, un jour de juillet. Une véritable fête d'images et de sons. Au Théâtre: Variete-Varietà, la revue annuelle de la Scuola Teatro Dimitri. Aucun doute, ces apprentis arlequins, ces amoureux de la sciure et du rond de lumière, du rire, de la balle et des confettis édifient sous nos yeux un monde invisible et claquemurent les névroses de notre temps.

    Maître d'œuvre de la parade: Dimitri. Ce clown qui rêve d'un cirque à la mesure du monde et pour qui l'humour n'a jamais été un exercice d'école, mais une réalité vécue, l'antidote à la résignation et aux plates contraintes de la raison triomphante.

    Une maison isolée en haut du village. La Casa Cadanza. Hors des lueurs de la piste, Dimitri m'accueille dans la lumière intime de sa vie. Aux murs, des étagères à secrets, des dessins, les alluvions de mémoire d'une existence. Mon compagnon d'imaginaire se plaît à entrouvrir les grilles de ses jardins secrets. Ainsi, nos entretiens se feront mieux, là, en lisière de forêt, où la vibration des couleurs éclaire une sculpture géante: un pachyderme en papier mâché. «Sa bonté est infinie et sa mémoire sans faille. On ne trompe pas facilement un éléphant.»

    Dimitri ponctue ses phrases de gestes souples et précis. Il parle beaucoup, il parle bien, il jongle avec les mots comme avec des clés: des heures à l'écouter, à le suivre sur le chemin de l'alphabet. Pas la moindre poussière d'ambition ou de nostalgie sous les semelles de sa fantaisie. Seule la respiration du vent. Pèlerin de l'imaginaire, il n'a de compte à rendre à personne sinon à l'espoir qu'il suscite.

    Et désormais, je sais que sa voix fait partie de mon paysage intérieur, qu'elle évoque, invisible mais présente, l'image d'un homme grave et rêveur qui a su préserver, au travers du temps, le prénom de son enfance. Un clown ne peut pas laisser mourir les mondes qu'il a dans la tête.
    Jean-Jacques Wahli


    Androgyne. «Qu'est-ce qu'un clown? Dans La Strada, ce beau film de Fellini, le visage androgyne de Gelsomina nous dit bien que ce n'est ni une femme ni un homme, mais un enfant. Un enfant dont l'innocence donne à croire en l'amour universel.»

    Berceau. «Il était une fois un petit garçon qui dormait à poing fermés dans son berceau. Au petit matin, un colis lui est tombé sur le nez... Aïe! Avec l'aide de sa mère, il a ouvert le paquet. Et à votre avis, qu'a-t-il trouvé emballé dans un chiffon multicolore? Une portion de comique. Voilà l'histoire de mon rire, de mon nez tordu. Merci les fées!»

    Chemise. «Je suis né un dimanche, à Ascona. La sage-femme, venue assister ma mère à la maison, s'est exclamée: «E nato colla camicia.» Il est né avec la chemise. Un vieil adage assure que cette fine couche de peau - visible à l'œil nu chez certains bébés - est un porte-bonheur. Je suis un chanceux, non?»

    Démaquillage. «A la fin d'un spectacle, je rejoins dans la loge mon fidèle compagnon, le miroir. Un miroir dans lequel je me dévisage. Solitude. Je retire alors le visage du clown, heureux de voir que le mien ne s'est pas égaré parmi les rires et les applaudissements.»

    Ecole. «C'est à l'âge de 40 ans que j'ai réalisé l'un de mes rêves les plus fous: fonder une école de théâtre, la Scuola Teatro Dimitri. Et c'est Gunda, ma femme, qui en assure la direction. La formation dure trois ans. Les cours débutent à la mi-septembre et se terminent à la mi-juin. Les principales branches enseignées sont la pantomime, l'acrobatie, la danse, l'improvisation et le jonglage.»

    Force. «Quelle est la plus grande force du clown? Quand il aime, il a conscience d'aimer, et il sait comment le dire.»

    Générosité. «Grock - mon plus grand maître, sans doute - avait sur scène une générosité prodigieuse. La générosité, c'est la joie de s'offrir au public. La joie de se projeter, de se donner, de mouiller sa chemise.»

    Hasard. «Les fées qui veillent sur notre destin voyagent toujours incognito. C'est pourquoi, autant que des fées, on se fout des coïncidences en ces temps matérialistes!»

    Indécence. «Imaginez un cirque à trois pistes où le clown, le dompteur et le trapéziste se produisent simultanément. C'est la mise à mort de l'artiste. C'est indécent et vulgaire, mais tellement américain. Ces gens-là ne croient jamais en faire assez. Alors, ils multiplient tout par trois.»

    Jonglage. «La balle, je la connais par cœur. Elle m'habite et je l'habille de mes dix doigts.»

    Knie (Frédy). «Dans les années 70, Frédy Knie fut le premier à engager un clown de théâtre. Il prenait un grand risque, car son public était habitué à des gags très visuels… Quelle satisfaction pour lui comme pour moi de découvrir ce public réceptif à l'humour fin du silence. Dès lors, presque tous les cirques firent confiance aux clowns de théâtre.»

    Lumière. «Ah! Cette lumière naïve qui éclaircit le rire du clown, du fou et de l'enfant. Le rire bête de certains adultes tombe mal comme une claque.»

    Maison. «La maison de mon enfance, située dans la périphérie d'Ascona, est l'œuvre de Van Rees, un architecte hollandais du Bauhaus. Cet ami de mon père s'est donné beaucoup de peine pour restituer par son travail la couleur rose traditionnelle des demeures tessinoises. Autour de la nôtre, il y avait un jardin de rêve où se dressait un double de la maison rose: l'atelier de mon père.»Il y dormait souvent parmi ses sculptures. Chez nous, mes parents accueillaient sans cesse des sculpteurs, des peintres, des astrologues et aussi les enfants du village. »Alors, quand j'éprouvais le besoin d'être seul, j'empruntais l'échelle qui me donnait accès au grenier, ce petit paradis d'étoffes multicolores. Avec tous ces chiffons brodés par ma mère, je me mettais en scène. J'impressionnais beaucoup les amies de ma mère.»

    New York. «Les gens ont souvent une idée réductrice de cette ville: violente et inhumaine. Pourtant, la première fois que j'y ai mis les pieds, j'ai eu un coup de cœur. En me promenant au milieu de ce monde complètement fou, de ce chaos majestueux, je me suis dit: «J'y vivrais bien au moins neuf mois, tant ce lieu féconde la naissance de mon imaginaire.»

    Origine. «Lorsqu'une maman aime son bébé, elle n'a qu'une seule envie: le faire rire. Alors, elle grimace et l'enfant sourit, parce qu'au travers de cette grimace, il ressent tout l'amour que sa maman désire lui donner. Voilà l'origine de la clownerie.»

    Potier. «C'est peut-être grâce à ce métier, mon premier métier, que je suis resté un être très terre à terre.»

    Quotidien. «Jour après jour, je dois muscler mes lèvres et mes doigts pour être capable de sortir un son de ma trompette et empêcher ma guitare de jouer toute seule.»

    Réincarnation. «Je crois aux vies antérieures ou futures, aux énergies positives ou négatives qui nous habitent. Et je sais, de source sûre, que mon âme s'est déjà incarnée dans des corps différents et qu'elle s'incarnera encore jusqu'au moment où elle n'aura plus le besoin d'être en devenir. »Cependant, je me méfie de ceux qui veulent me raconter le cours de mes vies antérieures. Je ne crois pas à ces charlataneries. Seuls de vrais initiés possèdent ce don, mais ils savent qu'on ne fait pas de commerce avec les âmes.»

    Smank. «Enfant, je rendais régulièrement visite au smank. Mi-animal mi-gnome, il ne sortait jamais de sa grotte. Je lui confiais mes joies, mes peines surtout et il m'aidait toujours à les surmonter, puisqu'il avait un grand pouvoir, celui de l'écoute. Le smank restera toujours mon ami d'enfance, le compagnon de mes rêves, le fruit de mon imagination.»

    Tabou. «Comme dans tous les milieux, nous avons des sujets tabous. Je suis allergique aux blagues méchantes. Je peux même parler d'une répulsion physique. Je ne me permettrais pas de monter une scène de torture ou de parodier un handicapé. Je ne peux pas concevoir l'humour sans amour.»

    Usurper. «J'aime faire partager aux autres mes convictions politiques ou religieuses, mais sans jamais me prendre pour un missionnaire ou un leader politique.»

    Vouloir. «C'est à l'âge de 7 ans que j'ai voulu devenir clown. J'aimais tant déclencher, puis accueillir le rire d'autrui: déjà, je pensais que le vrai rire est la réponse réflexe de l'amitié.»

    Wallenda. «Un soir, alors que les Wallenda, cette troupe de funambules, faisaient la pyramide sur un fil tendu à trente mètres du sol, l'un des douze s'est écrasé au sol… Quelques heures après, ses partenaires étaient à nouveau sur le fil du drame. Si un funambule meurt, un autre lui succède tout de suite. La vie n'attend pas, l'Arlequin est tout cousu de vie.»

    Xénophobe. «J'aime cette histoire de Raymond Devos: «Ecoutez: j'ai un ami qui est xénophobe. C'est à dire qu'il ne peut pas supporter les étrangers! Il les déteste à tel point que lorsqu'il va dans leur pays, il ne peut pas se supporter.»

    Y Le matin de ma naissance, lorsque mon père est allé me déclarer, l'officier de l'état civil a commis une erreur de moindre conséquence: à la fin de mon prénom, il a mis un y à la place du i. Ainsi, la pénultième lettre de l'alphabet m'a poursuivie jusque dans mon passeport pendant plus de quarante ans.»

    Zygomatiques. «Muscles qui s'étendent de la pommette à la commissure des lèvres, ossature du rire. Alors, ne pas se prendre trop au sérieux et tout faire pour prévenir cet os de la décalcification.»